• Radeau de la méduse


    Le Radeau de la méduse vous fait inévitablement penser à cette oeuvre magistrale de Théodore Géricault (1791 - 1824) que vous pouvez admirer au Musée du Louvre à Paris.


    Le peintre s'est inspiré d'un fait authentique, un drame de la mer dont il a eu connaissance. Il ne s'agit pas d'une catastrophe ayant marqué la mémoire des hommes par le nombre des victimes, quoiqu'il fut important pour l'époque, mais par les scènes d'horreur qui se sont perpétrées sur le désormais tristement célèbre Radeau de la Méduse.




    La Méduse


    La Méduse est un beau bâtiment, moderne, frégate de trois mâts et quarante-quatre canons, la plus récente et la plus rapide de la flotte française. Initialement, à la chute de l'Empire, elle se trouvait en rade de Rochefort, prête à appareiller pour permettre à Napoléon et toute sa suite de prendre de la distance en se rendant en Amérique. Hélas pour l'Empereur, ce plan avait été déjoué par la présence de la frégate anglaise l'Agamemnon se trouvant au large et attendant bien évidemment la Méduse pour l'arraisonner ou l'envoyer par le fond. L'Empereur avait donc renoncé à ce projet et la Méduse allait bientôt voguer vers son tragique destin.




    La mission


    À la Restauration, l'Angleterre était tenue de restituer à la France l'ancienne colonie du Sénégal, par le traité de Paris, comprenant Saint-Louis, Gorée et toute la région côtière voisine de l'embouchure du Sénégal. La Méduse reçu la mission de transporter le nouveau gouverneur Schmaltz accompagné de sa famille, les fonctionnaires de la compagnie, ses troupes, ses finances et tout le matériel nécessaire, soit au total cent vingt-deux personnes.


    La Méduse ne part pas seule dans cette expédition, elle est accompagnée de trois autres bâtiments, la corvette l'Echo, le brick l'Argus et la flûte la Loire, les quatre navires forment un groupe appelé division.


    Un corps expéditionnaire composé de trois compagnies faisant au total deux cent quarante hommes prend également place dans cette équipée. Les places à bord étant limitées, les équipages habituels ont été réduits et pour couronner le tout, les officiers sont des hommes inexpérimentés, novices et anciens mousses.






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    Le capitaine


    Le capitaine de la Méduse s'appelle Monsieur Duroy de Chaumareys, un homme âgé de 51 ans, contrairement à ce que l'on pourrait croire, cet homme n'a ni l'expérience, ni l'envergure qui sied à un chef pour conduire la division et la Méduse à bon port.


    Officier sans expérience, survivant du massacre des royalistes sur la plage de Quiberon par Hoche en 1795, il vient tout juste de revenir en France. Comme la majorité de ses compagnons de la noblesse, il avait quitté le pays en 1789 pour trouver refuge en Angleterre.


    Comme tous les nobles ayant déserté la France, il pense que le temps est venu de revenir au pays. Le capitaine de Chaumareys n'a plus mis les pieds sur le pont d'un navire en qualité d'officier commandant depuis vingt-cinq ans. Il est inapte à faire le point, de plus il affiche un profond mépris envers ses subordonnés et fait fi des avis des marins expérimentés. Il ne sait pas diriger un bateau et les marins se posent des questions et se demandent comment il à fait pour devenir capitaine.




    Le départ


    Le 16 juin 1816, la division quitte Rochefort, c'est l'été, il fait beau, les vents sont favorables, les bateaux avancent à bonne allure. Un détail non négligeable s'ajoute à l'ensemble déjà fort compromis, les cartes de navigation embarquée à bord sont obsolètes et pour le moins imprécises. Les cartes de l'hydrographie française de Belin sont tellement défectueuses qu'il est impossible de s'y fier. Or, le commandant de la Méduse ne possède que cette carte de Belin où l'on peut trouver des erreurs énormes, des différences de latitude de dix-huit à vingt minutes, en mesures terrestres cela représente, quarante kilomètres en latitude et cent dix kilomètres en longitude ! Ces erreurs sont mortellement dangereuses en mer, surtout quand on doit longer les côtes d'Afrique.




    Avant le naufrage


    Tous les bons marins savent qu'en mer la route la plus courte n'est pas forcément la meilleure. Quand un groupe de navires navigue en flottille, il est bon que les bâtiments les plus rapides calquent leur vitesse sur le bateau le plus lent. La mer est dangereuse et à l'époque, ne disposant d'aucun moyen, la sagesse impose de rester groupé afin de pouvoir porter assistance en cas d'incident ou pire.


    Moins de quinze jours plus tard, ils sont en vue des côtes d'Afrique, les marins de plus en plus inquiets savent pertinemment que le long de ces côtes, les courants sont dangereux, les récifs affleurent au ras de l'eau et il y a les bancs de sable, comme le banc d'Arguin, entre la Mauritanie et le Sénégal.


    La prudence voudrait que l'on s'écarte prudemment des côtes en suivant une route certes plus longue, mais sécurisante pour les bâtiments et les équipages. Le capitaine agit à l'encontre de toute logique, il veut arriver très vite au Sénégal "Hissez la grand-voile" ordonne-t-il, sa frégate la Méduse, est plus rapide que les autres bateaux, l'Echo cependant navigue dans les eaux de la Méduse. Les autres bâtiments sont distancés depuis longtemps et elle est maintenant seule en avant sur la mer, dangereusement seule. Ses officiers insistent "Attention capitaine, un grand banc de sable se trouve tout près", rien à faire, il décide de passer au plus près de la côte, tout va bien, la mer est calme l'eau verte est transparente. Ils sont inquiets, mais n'osent plus en parler au capitaine, il n'apprécie pas du tout les critiques, ni les conseils.


    Le commandant suit obstinément et aveuglément les instructions du livre de Belin, il ordonne "Cap au sud-ouest, l'Echo qui navigue toujours dans les eaux de la frégate suit le mouvement. Monsieur de Chaumareys ordonne enfin "réduisez la voilure, sondez le plus fréquemment possible ". Il est vingt-deux heures quand l'officier de quart ordonne "A sonder", "quarante-cinq brasses Monsieur", la frégate continue sa route, par contre le capitaine de l'Echo qui à également ordonné le sondage, estime que le brassage est insuffisant pour la sécurité et modifie sa route, laissant la Méduse s'enfoncer seule dans la nuit vers son destin tragique.


    Deux juillet, deux heures du matin, sondage : cinquante brasses d'eau sous la quille, quatre heures du matin, sondage : soixante brasses d'eau. A six heures, Monsieur de Chaumareys monte sur le pont et surveille le sondage, quatre-vingts brasses d'eau sous la coque. Le commandant rassuré se dit, "on est en train d'arrondir la tête du banc". Il fixe alors la route au S-S-O.




    Le naufrage


    Environ une heure plus tard, au sondage, on ne trouve plus le fond, le commandant trouve cela parfait, il estime que le banc est dépassé et que tout danger est maintenant écarté et donne l'ordre, "Cap au sud, en direction de Portendick ". La vérité est tout autre, les estimations du capitaine sont fausses, la Méduse met en fait le cap en plein dans la direction du banc d'Arguin, elle était fort loin de l'avoir dépassé.


    A deux heures, l'eau est trouble, cela inquiète l'enseigne Maudet qui demande au capitaine l'autorisation de sonder à nouveau, le commandant refuse catégoriquement d'empanner et regagne ses quartiers. Bravant les ordres de Monsieur de Chaumareys, Maudet prend sur ses épaules la responsabilité de sonder, seize brasses sous la quille, la catastrophe est imminente, il veut écarter le bâtiment et remonter dans le vent, à ce moment un autre enseigne s'y oppose, il faut impérativement respecter les ordres du capitaine. Celui qui n'obéit pas aux ordres du commandant est au mieux fouetté et au pire pendu, il n'a pas envie d'en faire l'expérience.


    A ce moment, Monsieur de Chaumareys intrigué par l'arrêt de la frégate, monte sur le pont, il voit les eaux sales et boueuses, il apprend qu'il n'y a que seize brasses et donne un ordre "deux quart sur la droite", le bâtiment devrait donc remonter de vingt-trois degrés vers l'ouest. Le commandant ordonne "A sonder& !", l'opération s'effectue à toute vitesse et le matelot crie d'une voix teintée d'angoisse "six brasses".


    Monsieur de Chaumareys hurle "A droite toute !", à l'instant même une énorme secousse ébranle toute la structure de la frégate, immédiatement suivie de deux autres moins violentes, le navire est maintenant immobilisé. La Méduse s'est lamentablement échouée par 19°54' de latitude Nord et 19°24' de longitude Ouest. Le commandant ne sait plus dire un mot, les officiers parlent à voix basse.


    Le commandant reprenant ses esprits demande au second, "Comment est la marée ?", la réponse est affligeante "juste en plein de la mer" répond Reynaud avec une attitude désespérée. S'échouer à marée haute, c'est le comble, que faire pour se sortir de cette situation. Il faut serrer les voiles, alléger la frégate en jetant par-dessus bord tout ce que l'on peut, espars, avirons, mâts de rechange. C'est insuffisant, il faut débarrasser la frégate de sa haute mâture, on enlève les mâts de perroquets, la hune. Il faut attendre la marée descendante pour mouiller des ancres afin de maintenir le bâtiment bien d'aplomb sur le fond, il ne faut pas qu'il chavire.




    La construction du radeau


    Un peu plus tard, les esprits s'apaisent, la situation semble alors moins désespérée qu'on avait pu le croire lors de l'échouage. La haute mer est à vue, moins d'une demi-lieue à l'ouest, on voit nettement que le banc se termine là, à la couleur de l'eau.


    La solution est toute trouvée, à l'aide de la chaloupe et de l'ancre de bossoir qu'on ira mouiller le plus loin possible, on pourra déhaler la Méduse de la souille creusée par sa quille dans le banc de sable. Mais le sort s'acharne, pendant les journées du deux et trois juillet, l'équipage ne parvient pas accrocher l'ancre de manière sûre et malgré que tout le monde s'attelle au cabestan, la frégate ne bouge pas et refuse obstinément à gagner la mer libre.


    Il faut alléger le navire, il est encore trop lourd, c'est alors que l'on décide de construire un grand radeau où l'on pourra placer le matériel, ce qui permettra d'alléger le bâtiment, les quarts de salaisons, les barriques d'eau et de vin, câbles et voiles de rechange et de la marchandise diverse.


    On met donc en chantier ce radeau que l'équipage appela "la machine", vingt mètres de longueur sur sept mètres de largeur, la construction est confiée à Espiaux. Ses deux flancs étant constitués par deux mâts de hune, de part et d'autre de l'axe longitudinal, on prit quatre mâts que l'on brida entre eux, on remplit ensuite les espaces vides avec des espars, le tout fut rendu solidaire par des fortes ligatures et des planches clouées. On plaça sur le dessus des pièces de toutes sortes, mais en prenant soin de les faire dépasser des bords pour créer un brise-lame. Un garde-fou fut également fabriqué à l'aide de barils de farine, à l'avant on disposa deux vergues de perroquet croisées en "V" symbolisant la proue d'un navire.


    Le lendemain quatre juillet, les conditions sont bonnes et l'espoir est grand d'amener à flot le navire déchargé. On mouille une ancre, tous doivent se mettre au cabestan, marins, passagers, soldats, après des efforts acharnés, la Méduse bouge enfin, ils parviennent à la faire pivoter et elle présente sa proue vers la mer profonde et salvatrice. Alors que la marée commence à descendre, la frégate allégée se met à flotter. Il faut maintenant positionner les cordages de l'ancre de l'arrière à l'avant et se remettre à l'œuvre au cabestan. Cependant, la marée a pris l'équipage de vitesse et la Méduse repose de nouveau sur le banc. Il ne reste plus qu'à attendre la prochaine marée, tout le monde garde l'espoir de se tirer de ce mauvais pas.






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    La dure loi de la mer


    Onze heures du soir, le vent s'amplifie, sur le haut-fond la mer devient dure, les lames labourent le pont, la Méduse commence à frapper durement le fond, soulevée par les paquets de mer, la carène commence à faire eau. "Les hommes aux pompes dans la cale !"


    Trois heures du matin, une puissante lame arrache le gouvernail, les ferrures, ouvrant une large brèche dans la coque, la mer s'engouffre en trombe dans la frégate.


    Chaumareys atterré ordonne "mettez la pompe royale en route ". Hélas, la pompe de peut lutter contre le déferlement des flots meurtriers, la Méduse n'est déjà plus qu'une épave lamentablement battue par les coups de bélier des lames, à moitié remplie d'eau, elle repose profondément sur le banc de sable, ce qui l'empêche de couler, mais elle est perdue. Il faut abandonner le navire.


    On fait rapidement le point des ressources, six embarcations en mauvais état, mal calfatées, il y a bien la grande chaloupe, mais c'est insuffisant pour gagner la côte la plus proche qui est désertique ou l'embouchure du Sénégal. Même en embarquant le double des personnes dans les canots on ne pourrait sauver que deux cents personnes et le navire en transporte le double !


    En secret, prévoyant le pire, une liste des passagers privilégiés à sauver avait été établie. Que va-t-on faire des passagers restants ? Mais oui, le radeau, ils pourraient prendre place sur celui-ci et les canots pourrait le remorquer, comment faire tenir tout le monde dessus, sans compter avec les vivres.


    On nomme commandant du radeau, Coudein, jeune élève de la marine, certes il a déjà navigué, mais ce dernier est blessé à la jambe ce qui le fait boiter. Il va de soit que l'on va embarquer sur la "machine " les personnes de peu d'importance c'est-à-dire, les hommes de troupe.


    En ce qui concerne ces derniers, on ne peut pas dire que c'était l'élite, pour occuper le Sénégal on avait ramassé les insoumis, les déserteurs, les renvoyés du corps pour insubordination et même des anciens bagnards.


    Coudein est accompagné du capitaine Dupont, le lieutenant Lheureux ainsi que des sous-lieutenants Lozach, Clairet et Anglas de Praviel.


    À l'aube du cinq juillet, c'est le branle-bas d'abandon du navire. La chaloupe fait eau de partout, les autorités embarquent dans le canot du commandant ainsi que l'embarcation du gouverneur. Ils s'éloignent de la Méduse et attendent à distance la fin des embarquements.


    Chaumareys a quitté le bord dans les premiers, il se fait huer par les hommes se trouvant encore sur la frégate, certains soldats le mettent en joue avec leurs armes, il faudra toute l'autorité du sous-lieutenant Praviel pour calmer la troupe.


    Ce dernier donne l'ordre d'embarquer sur la machine et prend soin de désarmer les hommes de troupe, cependant, certains parviennent à dissimuler armes blanches et pistolets. Sous la charge humaine, le radeau s'enfonce de plus en plus, si bien que les passagers ont déjà de l'eau aux genoux. Faute de place, ils doivent se tenir debout serrés les uns contre les autres, il n'y a pas de bastingage. La vision du radeau submergé laisse appréhender un drame latent, à un point tel que d'autres hommes préfèrent demeurer à bord de la frégate en espérant que l'on viendra les rechercher. Chaumareys, prétendra plus tard que ceux-ci étaient restés à bord "guidé par un esprit de pillage".




    La tragédie est en cours


    Le radeau s'éloigne de la Méduse remorquée par les embarcations de la frégate, à ce moment se trouve à son bord Coudein, quatre officiers de terre, cent dix-neuf soldats, une femme de troupe, le second chirurgien de bord Savigny, le géographe Corréard, dix ouvriers des colonies et environ une quinzaine de marins. Détail assez extraordinaire, les passagers ont accroché un mouchoir blanc à la pointe d'une baïonnette et crient "vive le Roi".


    Le remorquage commence, la chaloupe sous le commandement du lieutenant Espiaux, bien qu'elle prenne l'eau parvient encore à embarquer une trentaine de personnes qui étaient demeurée à bord de la Méduse Espiaux à donc embarqué quatre-vingt-huit personnes, dix-sept hommes qui ne veulent rien savoir restent à bord de la frégate. Chaumareys à bien sûr pris le commandement de l'ensemble et à fait mettre le cap plein Est, espérant gagner la côte au plus vite.


    Mais un autre problème surgit, l'ensemble des embarcations et du radeau est si massif qu'il devient ingouvernable, et se met à dériver vers la haute mer. Espiaux avec sa chaloupe munie d'une voile compte prendre la tête pour guider la remorque, mais la brise est bien trop légère, son embarcation est tellement chargée qu'elle est devenue ingouvernable.


    La chaloupe se met à dériver et va heurter le cordage reliant la seconde embarcation à la troisième, Espiaux comprend que si sa chaloupe touche le câble, elle chavirera sans aucun doute. Maudet l'enseigne qui commande la seconde embarcation largue le nœud du cordage et la chaloupe sans dommage coupe la ligne de remorque, le drame du radeau à la dérive commence.


    Les officiers Reynaud et Lapeyrère qui commandent les deux autres embarcations, croient-ils en voyant le geste de Maudet que le commandant Chaumareys abandonne l'idée de remorquer le radeau, sans doute, car tous larguent l'amarre. Ce geste est accompagné d'une grande clameur de fureur de la part des hommes se trouvant sur la "machine".


    Chaumareys accompagné de Maudet fait demi-tour, ils constatent que la remorque est larguée, ensuite ils mettent le cap vers la côte. Le lieutenant Espiaux voit le geste du commandant, il a honte de sa lâcheté, mais agit également de la sorte, on abandonne le radeau à son cruel destin, c'est le sauve-qui-peut !


    Le radeau de la Méduse est abandonné aux éléments, dans une situation de détresse, ni carte, ni sextant, ni boussole, on a dû sacrifier les vivres pour embarquer des passagers supplémentaires, ils disposent en tout de cinq barriques de vin, un peu d'eau douce, quelques biscuits imbibés d'eau de mer. Ils ont de l'eau jusqu'aux genoux à chaque seconde, ils risquent de tomber à la mer. Le radeau est ingouvernable, il est livré aux courants marins.






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    Le "carnage"


    Le "plancher" du radeau étant composé de divers morceaux de bois dont certains sont rond, des passagers pendant la nuit glissent entre les pièces de bois et ont les jambes brisées, d'autres passent par-dessus bord.


    L'aube du deuxième jour révèle une triste constatation, vingt personnes ont disparu de la "machine", animés de désespoir un matelot et deux mousses se jettent à l'eau. Le radeau continue à dériver, la mer balaye le radeau inlassablement. La rébellion gronde, les soldats sont affolés, ils soupçonnent les officiers d'avoir organisé avec le commandant Chaumareys l'abandon du radeau !


    Pris d'un délire collectif, ils vident une barrique de vin et s'enivrent, ils décident de vouloir mourir immédiatement et commencent à démanteler le radeau en coupant les cordages à coups de hache pour envoyer la "machine " par le fond.


    Savigny avec quelques officiers interviennent les armes à la main, ils veulent jeter les mutins à la mer, ils parviennent à les repousser jusqu'au mât. Il s'ensuit un féroce combat, la bataille est générale, des hommes passent par-dessus bord. Soudain, la fureur s'apaise, les révoltés demandent aux officiers de leur pardonner leurs actes, mais la nuit venue, la bataille reprend avec intensité. Au matin, on fait le recensement, il n'y a pas moins de soixante-trois nouvelles victimes.


    Le combat n'a pas arrangé la situation des naufragés, le fût d'eau douce et quatre barriques de vin ont été jetés à la mer, il ne reste qu'un tonneau de vin, le rationnement s'intensifie pour les survivants.


    Les hommes ont maintenant de l'eau jusque-là taille, la faim se fait cruellement sentir, tout est bon pour calmer celle-ci, ils mastiquent du cuir des baudriers, des linges.


    Le sept juillet le chirurgien Savigny rapporte que poursuivis par la faim qui les tenailles, des naufragés arrachent quelques lambeaux de chair aux cadavres qui jonchaient le radeau, ils les coupent en tranches, parfois ils prennent le temps de faire sécher les morceaux au soleil et les dévorent. Quelques passagers et les officiers trouvent cela répugnant, ils décident que les affamés recevront une plus grande quantité de vin.


    À l'aube de la quatrième nuit, une bataille rangée s'étant produite et un mousse s'étant suicidé, le huit juillet, il ne reste plus que vingt-sept personnes à bord sur les cent quarante-sept embarquées.


    La plupart des passagers sont blessés, ont perdus la raison et quelques-uns pouvaient encore espérer survivre quelques jours tout au plus. La seule chose dont ils disposaient encore était le vin, mais la réserve diminuait dangereusement. Pour que les plus forts survivent plus longtemps, il fut décidé de jeter les plus faibles à la mer. Cette horrible besogne fut exécutée par trois matelots et un soldat, ils restèrent donc à quinze, pour éviter tout problème, ils décidèrent de jeter à la mer toutes les armes, excepté un sabre pouvant éventuellement servir comme outil à trancher.


    Coudein raconte que n'étant plus que quinze, ils démontent une partie du radeau et fabriquent une plateforme surélevée supportant une petite tente qui leur permet de se mettre enfin au sec. La peau de leurs jambes est altérée et attaquée par l'eau de mer, mais le fait de ne plus tremper dans l'eau de mer où il y avait absorption par la peau, accélère la déshydratation de leur corps et la soif maintenant se fait cruellement sentir et le soleil n'arrange pas leur situation.


    Il ne reste bientôt plus une goutte de vin et les rescapés en sont réduits à boire leur urine, ils la font refroidir dans des petits récipients en fer-blanc pour que le breuvage soit plus facile à consommer.


    Le 17 juillet après treize jours de dérive, une voile apparaît à l'horizon, c'est l'Argus qui est revenu en mission, non pas pour rechercher les naufragés, mais retrouver l'épave de la Méduse, car à bord de celle-ci est resté de l'approvisionnement et surtout des barils qui contiennent nonante mille francs propriétés du Roi !


    Les quelques malheureux survivants, malgré tous leurs efforts pour attirer l'attention de l'équipage du navire, rien n'y fait, ils sont de nouveau abandonnés aux éléments, les quinze survivants n'ont plus qu'à attendre la mort qui ne tardera pas à venir.


    Fort heureusement, le destin se montre clément pour une fois envers ces hommes désespérés, quelques heures plus tard le navire repasse dans les parages et cette fois, ils ont été remarqués par les hommes de bord, il met en panne et recueille enfin les infortunés, ils sont saufs.


    C'est à ce moment que l'on constatera que les rescapés se sont nourris de chair humaine, les cordages étayant le mât étaient remplis de morceaux de chair à sécher. L'embarcation de fortune était parsemée de lambeaux de chair attestant sans nul doute leur origine.


    Et les autres embarcations et leurs membres ? Le canot du gouverneur et de Chaumareys à rejoint Saint-Louis, car ils possédaient une boussole. D'autres personnes, une soixantaine environ seront récupérées par l'Echo. Chaumareys ne dit mot et reste muet à ce moment sur les circonstances du drame. Les autres embarcations ont accosté le rivage désertique des côtes, leur aventure sera épouvantable, souffrant de la soif, de la faim, certains seront capturés par les Maures, d'autres arrivèrent même après les rescapés de la Méduse.


    L'Argus repart en chasse de la Méduse et ce n'est que le quatre septembre qu'il atteint l'épave, en montant à bord, ils découvrent un spectacle navrant, trois hommes ont survécu pendant quarante-cinq jours, ils sont dans un état lamentable proche de la mort et qu'est-il advenus des quatorze hommes qui les accompagnaient dans leur attente désespérée ? Deux sont morts et douze autres avaient décidé de tente la traversée vers la côte sur un radeau, on n'entendra plus jamais parler de ces hommes, nul ne sait ce qu'ils sont devenus, ils ont probablement été engloutis à tout jamais par les flots.


    Sur trois cent quatre-vingt-seize personnes montées à bord de la Méduse au départ, cent soixante y laisseront la vie.


    Et Monsieur de Chaumareys quel sera sont sort ? Voguant vers la France, il ne se doute pas que son histoire est déjà connue au pays et qu'il va devoir passer devant le conseil de guerre, les charges retenues contre lui sont lourdes :


    - S'être séparé de la Loire et de l'Argus.

    - Avoir échoué la Méduse.

    - Perte de son bâtiment.

    - évacuation et abandon de la frégate

    - Avoir abandonné le radeau.


    Monsieur de Chaumareys est alors jugé par le conseil de guerre composé du contre-amiral L. de la Tullaye et sept capitaines de vaisseaux à bord du vaisseau amiral, le vingt-cinq février 1817.




    Voici le résumé succinct des conclusions du commissaire du Roi :


    - Pour la première accusation d'avoir abandonné les deux autres vaisseaux : non coupable.

    - Pour l'échouage de la Méduse, accusé de négligence: coupable, avec l'application de l'article 39 du code pénal des vaisseaux soit : cassé et déclaré incapable de servir.

    - Perte totale de la frégate : non coupable, le commandant ne disposait pas de tous les moyens nécessaires pour sauver le navire.

    - Pour l'évacuation et l'abandon du navire : coupable, après avoir échappé habilement à la peine capitale, il est reconnu qu'il n'a pas abandonné le bâtiment le dernier.

    - Pour avoir abandonné le radeau, étant donné que chaque officier à bord des canots à été déclaré entièrement responsable de son embarcation, Monsieur de Chaumareys est déclaré : non coupable.


    En date du trois mars 1817, après une délibération de près de douze heures, deux des juges réclamant la peine de mort, le président prononce le jugement suivant :


    "Hugues Duroy de Chaumareys, natif de Var (Corrèze), âgé de cinquante et un ans, chevalier des ordres royaux de Saint-Louis et de la Légion d'honneur, est condamné à cinq voix sur huit à être rayé de la liste des officiers de la marine et à ne plus servir. À cinq voix sur huit, est condamné à exécuter une peine de trois années de prison."


    Un peu plus tard, le greffier se rend auprès de Monsieur de Chaumareys qui est détenu en cellule à bord du vaisseau amiral et lui lit la sentence. Ses décorations lui sont enlevées, l'amiral de Tullaye lui dira "vous avez manqué à l'honneur".


    C'en est fini de Monsieur de Chaumareys, sa vie est brisée, il avait, sans doute, oublié que les lois et les traditions de la marine demandent bien plus au commandant d'un navire que d'être un homme, que la sauvegarde de ses passagers et de son équipage engage son honneur et passe avant sa propre vie.



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